«La coalition Publiez ce que vous payez» (1) d’Asmara Klein (L’Harmattan)

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Avant-propos : «La coalition Publiez ce que vous payez – Une campagne pour la gestion responsable des ressources naturelles», est le titre de l’ouvrage que vient de publier chez L’Harmattan (collection «Questions Contemporaines»), Asmara Klein. L’auteure explique sur Grotius.fr, dans une série de trois textes, l’histoire et l’importance de ce mouvement issu de la société civile, mouvement qui parfois a bien du mal à se frayer un «chemin médiatique». Nous publions ci-dessous la première contribution d’Asmara Klein.

 

couverture du livre Passée quelque peu inaperçue en période estivale, la signature par le président américain Barack Obama de la loi de protection des consommateurs et de réforme de Wall Street introduite par le sénateur Dodd Franck, le 21 juillet dernier, marque cependant une victoire décisive pour les activistes de la transparence. La loi Dodd Franck révise les exigences comptables imposées par la Security and Exchange Commission en charge de réguler la bourse new yorkaise de sorte que, désormais, les entreprises extractives cotées à la bourse de New York devront rendre publics tous les paiements (royalties, bonus et autres taxes) effectués à destination de gouvernements étrangers, hôtes de leurs activités.

Le principal promoteur de cette nouvelle législation a été la coalition d’ONG Publiez ce que vous payez (PCQVP), objet d’une étude entreprise par l’auteur dans le cadre de son mémoire de fin d’étude.. Lancée en 2002, la coalition, composée de 600 organisations issues de la société civile dans plus de 50 pays, vit actuellement un moment historique puisque la loi américaine donne enfin corps à son injonction adressée aux entreprises de publier ce que ces dernières payent aux gouvernements hôtes pour l’accès aux ressources du sous-sol.

Bien que majeur, le succès remporté par PCQVP aux Etats-Unis n’est pas le premier de la campagne pour une gestion responsable des ressources naturelles, dont l’histoire s’inscrit dans le cadre plus large de la lutte contre la corruption, amorcée il y a plus de deux décennie. Dans le courant des années 1990, divers phénomènes se conjuguent pour faire inscrire la transparence, l’accès à l’information, comme priorité sur l’agenda des organisations internationales telles que l’Onu ou la Banque Mondiale.

Dans un premier temps, la vague de démocratisation intervenue après l’effondrement du bloc soviétique mais aussi en Amérique latine à la fin des années 1980 pose avec acuité la question de la responsabilité des dirigeants vis-à-vis de leurs citoyens, concept résumé sous l’appellation anglaise de «accountability».

Progressivement cette question s’élargit aux entreprises, qui, en raison des vagues de privatisations avalisées par les Etats occidentaux et de l’extension géographique de leurs activités sur fond de mondialisation économique, assument de plus en plus souvent des services d’intérêt général. Etendre l’obligation de devoir rendre des comptes aux acteurs privés semble d’autant plus indispensable que, d’une part, la mise à disposition d’informations, grâce aux différentes révolutions technologiques, devient de plus en plus aisée et d’autre part, les agissements transfrontaliers des firmes multinationales (FMN) échappent de manière croissante aux régulations nationales.

De ce point de vue, les crises asiatique et russe en 1997 et 1998 constituent une véritable prise de conscience internationale des ravages causés par la corruption dans le milieu des affaires. C’est à ce moment également que les organisations internationales se saisissent de la notion de transparence, rendue populaire par la notoriété de l’ONG Transparency International fondée en 1993 par un ancien fonctionnaire de la Banque Mondiale.

En proie à des déficits de légitimité importants, les organisations multilatérales espèrent pouvoir redorer leur blason, en répondant à l’appel pour plus de transparence soutenu par les ONG dans une diversité de domaine, en particulier dans l’industrie extractive.

Les scandales qui ébranlent les géants de la branche, Elf en 1994 ou Shell en 1995 par exemple, attirent l’attention des ONG occidentales, qui sensibilisées depuis quelque temps au problème de la malédiction des ressources s’emploient à révéler au grand jour la situation déplorable causée par une gestion inadéquate des revenus pétroliers, gaziers et miniers. Les rapports «A Crude Awakening» (1999) et «All the Presidents’ Men» (2000) de l’ONG Global Witness, largement médiatisés, dénonçant les détournements massifs de revenus pétroliers en Angola parachèvent le travail de conscientisation entrepris par les ONG en vue d’alerter les opinions publiques quant à la nécessité de soumettre le milieu extractif à une plus grande transparence.

Toutefois, concevoir PCQVP comme une pure agitation occidentale serait se méprendre. Certes l’appel a initialement été formulé par une poignée d’ONG londoniennes mais l’ampleur actuelle du mouvement, particulièrement dans les pays en voie de développement, ne peut s’expliquer que par la participation active de sociétés civiles locales. En ce sens, le cas du Congo-Brazzaville fournit un exemple parlant. A la sortie de la guerre civile (1993-2002), les premières associations citoyennes se mobilisent autour de la question du pétrole, facteur essentiel de stabilité (et en l’occurrence d’instabilité) politique et économique.

En 2002, la conférence épiscopale organisée avec le soutien logistique du réseau catholique Caritas adresse au président Denis Sassou Nguesso une lettre dans laquelle les évêques réclament une administration transparente et responsable des revenus pétroliers au nom du peuple congolais.

Le Congo-Brazzaville est loin d’être le seul pays dans lequel la question de la gestion des richesses naturelles a constitué un élément catalyseur dans la formation d’une société civile locale. A son tour, la lettre des évêque encouragea le réseau Caritas et notamment son pendant français, le Secours Catholique, à rejoindre la campagne PCQVP en juin 2002.

Prochain article : L’établissement d’un réseau transnational de solidarité

Asmara Klein

Asmara Klein

Asmara Klein, Doctorante au Ceri, Ecole Doctorale de Sciences Po