En RDC, la banalisation des violences sexuelles

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« Scandale géologique », selon l’expression consacrée, la RD Congo est-elle condamnée à être pillée, convoitée, à n’être qu’un terrain permanent de conflit comme d’autres sont des terrains de chasse ? Ses habitants, et particulièrement ceux de l’Est, sont-ils condamnés à être meurtris ? Ainsi des mains visibles et invisibles ont commandité des guerres pour occuper ce vaste pays et exploiter son sous-sol… Ainsi des massacres, des viols, des pillages, des enlèvements ont été perpétrés systématiquement et à grande échelle sur des populations civiles par tous les belligérants. Aujourd’hui encore les vieilles, les femmes mariées, les filles et les fillettes du Nord et du Sud Kivu sont prisonnières d’une situation de ni paix ni guerre…

Les femmes ont payé le plus lourd tribu de ces conflits successifs. Pudiquement on parle de violences sexuelles. Il faut savoir ce que recouvre et cache ce vocable. Nous ne ferons pas ici un tableau «clinique» mais il faut mesurer l’effroi de ces jeunes filles, de ces mères et de leurs proches. Il ne s’agit jamais – pardonnez cette expression, de «viols classiques», de «simples viols». Le viol est en soi inhumain mais, ici, la barbarie a sans doute atteint ses limites. Ces actes ignobles sont accompagnés d’atrocités sans précédent : après le viol, certaines femmes ont été découpées en morceau, d’autres brulées à l’essence, d’autres encore décapitées.

Cette violence sexuelle a été « promue » tactique de guerre, associée à la stratégie militaire des belligérants, pour anéantir les communautés villageoises – anéantissement physique et psychologique, et pour semer la peur chez l’ennemi. Le viol comme arme de guerre…

La « cible » des hommes en arme n’a pas d’âge, peu importe que cette femme soit vieille ou enfant. Les communautés n’ont pas su dans un premier temps nommer ce drame. Ainsi le concept « Ubakaji » a été importé de Tanzanie par les médias pour désigner cette violence planifiée.

Depuis 2003, on estime que plusieurs centaines de milliers de femmes ont subi des violences sexuelles dans l’Est du Congo. Des femmes qui sont ensuite rejetées, coupées de leurs communautés, des femmes qui ne peuvent plus travailler au champ et tombent dans une extrême pauvreté… Les moyens alloués aux fins d’une prise en charge médicale et psychologique étant limités, très peu de victimes ont pu être soignées. Celles qui ont pu avoir des soins n’ont pas reçu, dans la plupart des cas, d’aides financières pour se réinsérer dans la société.

Ni paix, ni guerre… mais toujours le viol

Dans le contexte post conflit que nous vivons, la violence sexuelle n’a pas disparu, elle est là, diffuse dans nos sociétés, comme une survivance de la guerre… Autrefois pratique propre aux belligérants, elle est aujourd’hui perpétrée par le commun des mortels dans l’Est de la RD Congo, civils et hommes en uniforme confondus et issus de toutes les couches sociales.

Ainsi on observe des cas de plus en plus fréquents de viols conjugaux ou ce sont des domestiques qui violent les enfants qu’ils sont sensés garder en l’absence de leurs parents, ou ce sont des viols de papas sur les petites filles du quartier, d’enseignants sur des écolières et élèves dans les établissements scolaires et universitaires, des harcèlements sexuels de chefs de service sur leurs subalternes, des viols sur les enfants de la rue, des viols sur des femmes qui ont un petit commerce et qui doivent effectuer une longue distance à pied, du marché au domicile…La liste serait longue. On y trouve même des pasteurs qui ont perdu leur âme.

Toutes ces victimes sont généralement indigentes, très pauvres et sans protection sociale aucune. Malgré l’existence de lois réprimant les violences sexuelles, nous attendons toujours la création d’un fonds alloué aux victimes. Les jugements rendus en leur faveur ne sont pas exécutés. La libération des auteurs de ces actes est chose commune. On invoque alors le coût de l’enquête. La justice n’a pas de moyens. Les victimes encore moins.

La lâcheté d’une société

Les arrangements à l’amiable, les mariages forcés, les simples amendes distribuées constituent les solutions retenues par la plupart des familles. Le règlement de ces drames passe souvent par les chefs de village. Il faut à tout prix sauver l’honneur et la dignité des familles en passant par des compromis.

« Nous préférons ces arrangements pour sauvegarder les relations entre familles, il ne faut pas qu’elles deviennent ennemies, elles doivent partager et manger ensemble quelque soit l’incident survenu…» dit un chef de village sur le territoire de Kaléhé, dans la province du Sud Kivu. Ce chef de village suit le dossier d’une fille mineure violée par un jeune homme de son terroir, à qui il a fait payer une amende de 300 dollars américains en lieu et place d’une poursuite judiciaire. Généralement ces frais profitent au  chef de famille et non pas à la victime…

Ces pratiques, ces arrangements et cette absence de justice sont nuisibles à notre société. Pire, des rumeurs selon lesquelles «les violences sexuelles constituent un fonds de commerce», des rumeurs selon lesquelles «les femmes se font violer pour obtenir de l’argent» etc. courent et se répandent, pendant que des milliers de femmes, fillettes, et vieilles croupissent dans des hôpitaux parce-que violées et blessées. Beaucoup ont fini par croire l’ « incroyable » : la femme a été violée, c’est par sa faute et en plus elle l’a fait pour soutirer de l’argent à une famille… Ils sont nombreux à faire semblant de croire à cette version qui ménage coutumes, quelques autorités locales, les violeurs, leurs familles et pour tout dire nos consciences. La lâcheté des hommes n’est pas loin.

« Nous recevons des menaces de la part d’hommes influents de cette province qui sont impliqués dans des dossiers de violences sexuelles» affirme Major Honorine Munyolé, officier de police judiciaire, chargée de la protection de l’enfant et de la femme et de la lutte contre les violences sexuelles au sein de la police nationale du Sud Kivu. Ces hommes exercent un chantage sur la victime et l’oblige parfois à nier le viol. Ils promettent des cadeaux alléchants à la famille etc.

« Nous constatons que sur cent cas de viols enregistrés – que ces crimes soient commis dans des établissements scolaires, des institutions médicales, à domicile et sous le toit conjugal, on trouve  très peu de cas d’hommes violés. Cela prouve à suffisance que ce sont bien les hommes qui profitent de la vulnérabilité de la femme », ajoute Major Honorine Munyolé.

Les médias sont aussi responsables

Les médias – faut-il le rappeler, occupent une place particulière dans nos sociétés. Ils ont un rôle traditionnel d’éducation des populations. Malheureusement ils ont abandonné ce rôle d’éveilleur des consciences et, plus grave, ils ont contribué à la banalisation des violences sexuelles.Les médias, en effet, colportent des rumeurs, relaient des déclarations de gens qui nient la réalité du viol, fustigent ces violences, les balaient d’une main et les présentent comme un fonds de commerce monté de toutes pièces par des femmes pour amasser de l’argent.

Aucun programme spécifique n’existe, aucune plage horaire ou espace n’ont été aménagés dans ces organes de presse pour répondre aux besoins des femmes et offrir une information digne de ce nom. Aucune faveur n’est accordée aux associations qui luttent contre les violences sexuelles… Aucune réduction de coût pour diffuser un message, un programme…

Les médias préfèrent proclamer les victoires militaires des forces régulières dans leur traque contre les rebelles hutus FDLR, toujours présents dans les provinces du Nord et Sud Kivu… Rebelles, bandes armées, forces régulières mal ou pas payées qui agissent en toute impunité… Ces opérations de l’armée congolaise ont un nom de guerre : Kimia, qui signifie «quiétude, silence, calme».

Pascaline Zamuda

Pascaline Zamuda

Zamuda Pascaline est journaliste-productrice, membre de l’Association des Femmes des Médias du Sud-Kivu (RDC).

Pascaline Zamuda

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