Le volontariat de réciprocité Sud-Nord : du discours à la pratique, comment franchir le pas ?

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Le volontariat est un concept qui permet à toute personne ayant des compétences de se mettre au service d’une cause d’intérêt général. C’est une action de solidarité qui est aujourd’hui un pilier important de la coopération au développement parce que plusieurs pays occidentaux et asiatiques conduisent des programmes de volontariat international dans les pays du Sud. Si ce modèle de coopération est apprécié par tous, des voix s’élèvent depuis quelques années, notamment dans les pays du Sud tels le Brésil et l’Inde, pour affirmer que la solidarité ne saurait être l’apanage d’un groupe de pays, qu’il faut la concevoir dans les deux sens, d’où le concept de réciprocité dans le volontariat international.

L’Etat français, en réponse à cette revendication de réciprocité, a exprimé son ouverture à travers la loi de 2010 (1) qui organise le service civique en France. Cette loi a permis à France Volontaires ainsi qu’à d’autres structures d’envoi de volontaires de jeter les bases du volontariat de réciprocité en organisant une trentaine de missions de réciprocité pour des jeunes d’Afrique de l’ouest sur le territoire français en 2013.

Alain Bleu, dans son article intitulé « le prudent démarrage du volontariat de réciprocité Sud-Nord » (2), présente le déroulement de ces missions de réciprocité et ses appréhensions quant à la matérialisation de ce nouveau type de volontariat qui sans aucun doute peut avoir un impact considérable sur les échanges entre les peuples.

La présente réflexion naît de l’importance des enjeux autour de ce type de volontariat et de la nécessité pour les pays du Sud et particulièrement africains de repenser le développement à partir de leurs propres capacités. Comment mettre en œuvre le volontariat de réciprocité en Afrique ? Quelles sont les conditions pour son implémentation durable ? Tels sont les axes de cette réflexion qui a pour but de faire avancer le débat sur l’applicabilité de la réciprocité dans la conduite du volontariat sur la scène internationale.

 Comment mettre en œuvre le Volontariat de Réciprocité Sud-Nord ?

La réponse à cette question semble facile à trouver, si l’on s’en tient aux rapports des missions organisées en 2013 par France Volontaires. On peut dire tout simplement : « en envoyant des volontaires du Sud en mission au Nord ». Mais un regard sur les réalités des dynamiques de volontariat en Afrique nous impose de marquer un temps d’arrêt et de réfléchir davantage. La réciprocité dont il est question ici nécessite la mise en synergie de plusieurs facteurs, notamment l’existence des partenariats entre structures de volontariat du Sud et du Nord, un cadre juridique favorable à cet engagement volontaire, des moyens financiers, la déconstruction des mentalités, une vision unique du volontariat.

Les facteurs énumérés sont étroitement liés aux réalités économiques du monde contemporain et aux controverses historiques autour de la question du sous-développement. Notre réflexion ne va s’appesantir que sur le cadre juridique et la déconstruction de certaines mentalités, car les partenariats existent depuis les années 1960 entre les pays. Les moyens financiers quant à eux ne manquent pas.

En effet, le cadre juridique est le pilier le plus important de cette dynamique, c’est la loi qui régit et fixe les modalités de mise en œuvre du volontariat de réciprocité. En France, une loi sur cette question existe depuis 2010. Cette loi ouvre les portes aux ressortissants étrangers capables de mener des missions de volontariat sur le territoire français. C’est un grand pas, mais la coopération Sud-Nord ne saurait se limiter au contexte français. Combien d’autres pays occidentaux sont ouverts à cette dynamique ? De même au Sud, de tous les pays qui accueillent des volontaires internationaux, combien disposent d’un cadre juridique régissant les activités de volontariat ? Il n’est pas abusif d’affirmer que le volontariat au Sud est encore en phase de gestation.

La machine de mobilisation des compétences dans les pays du Sud, notamment en Afrique, dépend des dispositions légales, ces lois traduisent la détermination des Etats à capitaliser les ressources humaines disponibles et volontaires. La vulgarisation du concept de volontariat et son introduction dans les circuits de l’emploi découlent de la mise en place d’un cadre légal. La timidité observée dans ce domaine en Afrique suscite quelques interrogations sur la place et le rôle du volontariat dans le processus de développement. Parler de réciprocité dans un contexte de gestation du volontariat nous semble prématuré, car le travail à faire avant toute chose est de s’approprier le concept de volontariat et placer les compétences disponibles au cœur des stratégies de développement.

Par ailleurs, la question des mentalités doit être prise avec délicatesse parce qu’elle suscite toutes sortes de passions, qu’elle soit abordée en Occident ou en Afrique. Pour la question de la réciprocité dans le volontariat international, les mentalités occupent une place prépondérante. Bien que quelques volontaires ouest-africains aient déjà effectué des missions de réciprocité, la société occidentale a-t-elle déjà déterminé ce qu’elle attend des volontaires du Sud ? Les pays du Sud ont-ils déjà pour leur part identifié ce qu’ils vont apporter aux organisations du Nord ? Voilà des questions auxquelles nous devons trouver des réponses.

Dans un contexte où l’obtention des visas pour l’Europe relève de l’exploit, ne peut-on pas s’interroger sur les visions et les considérations que nous avons les uns des autres? Un travail doit être fait pour déconstruire les idées que nous nous faisons du monde et de « l’Autre ». Parler de réciprocité dans ce contexte relève du discours politique tant de la part du Nord que du Sud. Les promoteurs de l’opinion selon laquelle la solidarité devrait se faire dans les deux sens n’ont pas pris la mesure de ces mentalités. Sans toutefois vouloir critiquer les leaders, nous pensons que, pour le cas de l’Afrique, il est préférable de mettre en avant des réalisations concrètes dans le domaine du volontariat.

Il est vrai qu’une trentaine de jeunes ont effectué des missions en France, mais l’obtention des visas aurait-elle été possible sans le patronage des institutions nationales des pays concernés ? La réponse est évidente et met en exergue la question des mentalités, des considérations que nous avons les uns des autres. Nous pensons que parler de réciprocité sans lever ces voiles est inopportun et condamne ce mode de coopération à un échec certain.

Comment parler de volontariat de réciprocité dans un contexte où aucun pays du Sud ne dispose d’une structure de promotion du volontariat à l’international ? Les dispositifs présents sont des dynamiques mises en place par les Etats avec des sphères d’activités réduites. Le volontariat Sud-Sud ne relève encore que des discours théoriques. Peut-on concevoir une dynamique Sud-Nord qui n’a aucune fondation concrète ?

La preuve de cette ambiguïté se trouve dans le fait que les missions de réciprocité organisées en 2013 ont été financées par France Volontaires. Si France Volontaires finance les missions de ses volontaires dans le monde, doit-elle financer également celles des ressortissants africains sur le territoire français pour matérialiser la réciprocité ?

La réponse à cette question est évidente et elle ouvre un pan de réflexion sur les motivations des uns et des autres. Quelles sont réellement les conditions à remplir pour que le volontariat de réciprocité signifie quelque chose en Afrique et permette à ce continent de prendre position dans la sphère de l’engagement volontaire de manière durable ?

Pour une réciprocité réelle et durable dans le volontariat Sud-Nord

La réciprocité dans toute relation est en soi un gage de durabilité entre les peuples du Nord et du Sud. C’est une garantie pour assurer des échanges équitables, partager des expériences et détruire les barrières interculturelles. Dans le cadre du volontariat, la réciprocité va permettre de déconstruire l’idée selon laquelle les populations du Sud n’ont rien à apporter à la société occidentale qui demeure dans une logique de mission civilisatrice.

Cette réciprocité nécessite un travail sérieux de la part des leaders sociopolitiques du Sud, car pour pouvoir répondre à cet appel de la société occidentale, il faut être outillé et se déployer efficacement. Comme condition préalable nous pouvons citer :

  • L’appropriation du concept de volontariat au sein des sociétés du Sud

Le volontariat de réciprocité Sud-Nord ne peut s’implémenter durablement que si la notion de volontariat elle-même est intégrée dans les mentalités. Pour les pays africains, cette notion n’est pas encore totalement ancrée dans les pratiques de nos sociétés. Il est vrai que des structures de promotion du service civique ont été créées dans plusieurs pays notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, mais il n’est également pas abusif d’affirmer que ces structures sont encore en phase de vulgarisation. Le parcours demeure très long pour que le concept de volontariat soit intégré dans les mentalités des populations de ces pays.

La société civile dans les pays africains devrait contribuer à dynamiser le secteur du volontariat. C’est cette implication massive des populations qui va faciliter la vulgarisation de ce concept. Il faut un travail scientifique pour élaborer le contenu des missions de volontariat dans les sociétés africaines. Ces dernières doivent être visibles, compréhensibles et ouvertes à tous. Pour l’instant, ce n’est pas le cas parce que les orientations stratégiques des structures de service civique ne prennent pas en compte dans leur majorité les citoyens qui disposent d’une expertise. C’est une réalité qui limite la portée des actions et des initiatives de volontariat dans ces pays.

La fragilité du secteur du volontariat dans les pays africains que nous présentons a des répercussions sur l’éventuel volontariat de solidarité Sud-Nord. Il est de ce fait prématuré de lancer des missions de volontariat vers le Nord dans un contexte où cette notion est encore en phase de construction dans les pays du Sud. Le volontariat doit d’abord faire ses preuves sur le plan national et être intégré dans les politiques de développement pour ensuite évoluer au niveau sous-régional et régional. C’est cette évolution graduelle qui favorisera l’émergence d’une dynamique de volontariat pensée pour l’Afrique et par l’Afrique.

  • La mise en place des structures de promotion du volontariat Sud-Sud

C’est une condition préalable parce que le principe fondateur des ONG de volontariat international en Occident est le partage des compétences avec les peuples du Sud. C’est une idéologie qui repose sur un socle institutionnel qui n’existe pas encore dans tous les pays du Sud où quelques Etats ont mis des structures de service civique en place.

Une dynamique de volontariat Sud-Sud dans les pays concernés permettrait de mieux structurer l’environnement du volontariat dans les pays du Sud. En Afrique par exemple, il n’y a aucune dynamique de mobilisation des compétences volontaires tant sur le plan sous-régional que régional. Dans un contexte où il est question de promouvoir l’intégration régionale, la première préoccupation devrait être celle de stimuler la solidarité, les échanges et le partage des compétences entre les peuples d’Afrique. C’est fort de cela qu’une logique de réciprocité Sud-Nord peut émerger et avoir toutes les chances de se pérenniser de génération en génération.

Il est difficile d’imaginer un volontariat de réciprocité entre les pays du Sud et ceux du Nord quand cette dynamique reste à construire entre peuples du Sud. On peut aisément penser que les premières missions organisées en 2013 (nous saluons d’ailleurs les « pionniers » qui les ont menés) étaient des missions expérimentales qui auront du mal à être pérennisées si les enjeux du volontariat sur le développement de nos pays et la consolidation des relations fraternelles entre les peuples ne sont pas mieux abordés par les dirigeants africains.

La réciprocité ne peut exister dans le volontariat que s’il est valorisé et réellement considéré comme un facteur de développement. C’est cela qui va permettre une structuration plus efficace et faciliter l’harmonisation des volontés qui est nécessaire dans la cour du « donner et du recevoir ».

Il est regrettable de constater que la plupart des dynamiques qui animent les Relations Internationales sont abordées en Afrique avec légèreté. Les Africains se jettent dans des initiatives pensées par d’autres. Nous ne voulons pas être pessimistes, mais nous nous interrogeons sur les raisons de cette inertie politique. Il est question ici du volontariat de réciprocité Sud-Nord. Pourquoi réclamer la réciprocité alors que nous ne faisons rien pour structurer une dynamique de volontariat Sud-Sud ?

Quel est le fond idéologique qui anime cette réclamation et quel est le contenu des missions initiées ? Il est judicieux de réfléchir sur les concepts et les orientations que nous leur donnons. Nous pensons que ceux qui réclament la réciprocité dans le volontariat le font dans le cadre du débat théorique qui se tient depuis les indépendances. Mais il y a mieux à faire, il faut proposer des stratégies pour construire une dynamique de volontariat forte et efficiente.

  •  Elaborer une vision commune du volontariat au Sud

Les pays du Sud doivent faire un travail de construction idéologique autour de la question du volontariat pour en faire un outil d’expression, un objet d’échange sur la scène internationale. C’est une condition préalable pour garantir la lisibilité et le fond culturel qui sont nécessaires dans un espace mondialisé comme le nôtre. L’observation de la société occidentale, notamment européenne, démontre que le volontariat est un concept qui fait partie des piliers de l’intégration régionale. L’entité « Union européenne » comporte un programme de volontariat qui repose sur une vision collective de ce concept auquel des objectifs stratégiques clairs et précis sont assignés.

Des revendications pour une réciprocité dans le secteur du volontariat international devraient reposer sur le socle d’une concertation, d’une mise en commun des énergies positives pour réellement être capables d’apporter une réponse à l’appel de la communauté internationale dans le domaine du volontariat. La France a pris les dispositions légales pour permettre cette ouverture, elle a financé les premières missions à travers France Volontaires. Est-ce encore la France qui doit initier les concertations nécessaires entre les pays du Sud pour donner une chance de survie à ce modèle de coopération ?

Nous pensons que la réciprocité réclamée ne peut exister qu’entre deux acteurs qui disposent chacun d’instruments viables, échangeables. Malheureusement nous constatons qu’une des deux parties, notamment le Sud, ne s’est pas encore réellement outillée et ne saurait alors se rendre sur la place du marché sans avoir de produits à proposer, au risque d’aller y jouer le rôle de spectateur. Cette imagerie propre à la culture africaine démontre aisément qu’il y a encore beaucoup de choses à faire dans nos pays et qu’un travail de fond est nécessaire dans le domaine du volontariat si nous voulons pouvoir l’exporter vers les autres sociétés.

Le volontariat est fondamentalement un facteur de développement, il est également très important dans le cadre de la coopération internationale. Les pays du Sud doivent de ce fait travailler pour s’affirmer dans ce secteur. Nous pensons que la revendication de réciprocité dans les missions volontaires internationales a été faite dans le but de démontrer le caractère solidaire des sociétés du Sud.

La présente réflexion n’a pas pour but de critiquer cette revendication mais de démontrer qu’un travail sérieux doit être fait dans les pays du Sud, notamment les pays africains, avant de se projeter à l’international. Il faut donc que le volontariat soit intégré dans les mentalités de nos populations, qu’il soit introduit dans les stratégies de développement tant sur le plan national que sous-régional. C’est cette dynamique qui va permettre l’émergence d’un volontariat Sud-Sud.

Ce sont ces conditions préalables qui peuvent garantir la durabilité de « l’éventuel volontariat de solidarité Sud-Nord ». Les enjeux autour de ce modèle de coopération sont tellement importants qu’il peut contribuer à faire tourner une page de la coopération entre les peuples. Nous ne saurions donc l’aborder avec légèreté et encourager davantage de missions expérimentales sans avoir construit le socle sur lequel repose le volontariat africain. C’est une responsabilité qui ne concerne pas seulement les Etats mais tous les acteurs qui disposent d’outils pour analyser et proposer des stratégies pour le développement de l’Afrique à partir de ses propres réalités. 

Orientations bibliographiques

1 –    Alain Bleu, « le prudent démarrage du volontariat de réciprocité Sud-Nord », Grotius International, 1er avril 2013.

2 –    Charte des associations de volontariat de solidarité internationale.

3 –    Enquête réalisée par IPSOS pour le CLONG-Volontariat, le volontariat de solidarité internationale : un parcours de citoyenneté, février  2014.

 4 –    YALA Amina, Volontaires en ONG : l’aventure ambiguë, Ed. Charles Léopold Meyer, 2005.

 5 –    UN Volunteers, Volontariat et développement humain durable, année internationale des volontaires, 2001.

 

(1) La loi du 10 mars 2010 porte sur la création du service civique. Cette loi permet à des jeunes âgés de 16 à 25 ans et sans condition de nationalité d’effectuer une mission de volontariat sur le territoire français.
(2) Alain Bleu, « le prudent démarrage du volontariat de réciprocité Sud-Nord », in la revue GROTIUS, 1er avril 2013

Achille Valery Mengo

Achille Valery Mengo

Achille Valery MENGO est diplômé de l’institut des relations internationales du Cameroun: option coopération internationale et action humanitaire.