Y’a plus de saisons !

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L’été, la France, ce doux pays de mon enfance, prend généralement des formes vallonnées ou sablonneuses, souvent lumineuses parfois orageuses. Et qu’il s’échappe en pente douce ou dans le pré, il offre toujours un grain de légèreté et de diversité, la possibilité d’une diversion temporaire, en somme toute vacancière. Mais depuis quelques années, l’été trahit ses promesses. L’atmosphère est lourde, poisseuse, irrespirable. Tout a vraiment commencé en juin 2005.

Cette année-là, Nicolas Sarkozy décidait de lancer et de tester le concept d’immigration choisie, en dénonçant l’hydre de l’immigration irrégulière planant sur nos campagnes. En juillet, il prenait pour cible un jeune gitan tarbais de 14 ans, auteur présumé de 10 % des crimes et délits commis dans la ville. Vous imaginez ? Mineur, gitan, multirécidiviste et tarbais, le bonheur à portée de main, de quoi initier une bonne campagne sécuritaire. C’est ainsi que la machine fut lancée. Elle ne s’arrêtera plus.

En 2006, l’été fut sombre. Un vrai temps de crottin. Les estivants qui avaient choisi Dunkerque comme lieu de villégiature se mirent à grelotter. Le 15 août, le thermomètre affichait 17 degrés. En Espagne, les incendies faisaient rage. Au Liban, le tir des canons se taisait sous les oliviers. Et le soir, le ministre de l’Intérieur Sarkozy s’invitait au journal de 20 heures, avec un message simple : la crise des banlieues était le résultat d’une intégration défaillante. Les socialistes espagnols avaient eu tort de régulariser, lui ne le ferait jamais. Les migrants en situation irrégulière n’ont d’ailleurs qu’une vocation, celle d’être expulsés.

C’est ainsi que deux jours plus tard, le squat géant de Cachan était évacué sous une nuée de caméras. Une intuition me suggéra l’urgence de démontrer à travers un texte l’impasse, mais aussi «l’avenir d’une illusion sécuritaire et libérale». Mais que pèse un livre face à un cocktail vainqueur, mixture à base d’exclusion, de délinquance, d’immigration et d’islam radical ?

Après l’épisode du Fouquet’s, Nicolas Sarkozy nous offrit en 2007 un été décomplexé entre séjour sur yacht au large de l’île de Malte et à Wolfeboro sur fond de crise conjugale.

Les deux ans qui suivirent furent une gestion continue des trois i (Identité, Immigration, Insécurité) sur le mode de la sous- traitance, oscillant entre bourde sur les auvergnats, loi sur la burka, dénonciation de la polygamie et dérapage pas contrôlé du tout, lors du débat sur l’identité nationale.

Nous voilà en 2010, à deux ans de la présidentielle. Qui, à part le président – premier ministre et ministre de tout, peut bien franchir un nouveau cap et relancer la machine à diviser ? Il sait bien lui, l’originaire du triangle «Neuilly-Auteil- Passy », que l’insécurité en banlieue et les propos d’un illuminé extrémiste font facilement sens à la télévision. Il a de la mémoire et du savoir-faire . Il suffit d’ethniciser les récits pour évacuer durablement la question sociale et républicaine, c’est-à-dire celle de l’universalisme, de l’égalité des droits et des devoirs, de l’accès aux services publics.

Ce modèle de radicalité a de surcroît, pense t-il, un avantage : les électeurs de droite moralement déstabilisés par sa politique, n’auront pas d’autres choix que de se ranger derrière lui face à la réaction indignée de la gauche coalisée.

Alors, sur fond de chômage massif et de conflits d’intérêts au sein de son gouvernement, il recommence à nous pourrir l’été avec une séquence de communication de haute intensité. Il assimile l’immigration à la délinquance, joue avec le droit de la nationalité et cible les Roms après le saccage d’une mairie par des Français, gens du voyage. Le voyageur estival qui sort de l’hexagone a alors la francophilie en berne.

Dans les capitales européennes, les Unes des quotidiens moquent la France, titrant sur le Sarkogate ou l’affaire Woerth-Bettancourt. Les journaux réagissent avec indignation et inquiétude lorsque notre pays fabrique des boucs émissaires. Mais quelle que soit la saison, une certaine droite n’a que faire des critiques : ce ne sont ni les éditorialistes étrangers, ni les migrants qui font ou défont une élection. Ils ne votent pas.

De provocations en surenchères, le chaos organisé et souhaité peut appeler, selon un schéma bien établi, à une demande supplémentaire d’ordre. Et si cela ne suffit pas, la prochaine étape lèvera le dernier tabou : celui d’une alliance de l’UMP avec une extrême droite recomposée autour de Marine Le Pen. En attendant l’automne et un nouveau gouvernement, qui pourrait bien revêtir la tenue commando, force est de constater que l’été cette année encore nous a échappé.

De quoi nous faire douter des saisons ou à tout le moins nous faire espérer la fin d’un cycle. Mais cela est déjà une autre histoire qui ne relève pas du hasard, mais bien d’une volonté collective !

Pierre Henry

Pierre Henry

Pierre Henry est Directeur général de France terre d’asile.