Du 6 au 11 février, Dakar a accueilli le Forum social mondial. Dans la capitale sénégalaise, les discussions ont porté notamment sur les migrations. A l’occasion de cet événement, les journalistes de Syfia international vous présentent, en Afrique et en Europe, des itinéraires poignants de migrants. En Afrique, rencontre avec des expulsés, des migrants de retour au pays pour y investir, des jeunes déterminés à rester chez eux, des épouses ou des parents sans nouvelles de leurs maris ou de leurs enfants et des immigrés qui vivent tant bien que mal dans un autre pays africain…
En Europe : misère, mensonges aux familles, promiscuité et incertitude du lendemain pour les demandeurs d’asile… Certains immigrés, surtout quand ils se retrouvent sans-papiers, peinent à trouver un petit boulot ou un toit. D’autres sont exploités par leurs frères ou par des réseaux de prostitution. Ceux qui sont pris au piège en Europe conseillent aux jeunes encore en Afrique d’étudier pour venir ensuite légalement et à ceux en galère en Occident de rentrer pour travailler sur leur continent. Des conseils d’autant plus sages qu’avec la crise économique, les pays riches ont durci leurs critères d’accueil…
Emmanuel de Solère Stintzy, Syfia international
Migrants-Europe
Des immigrés prisonniers de leurs mensonges
(Syfia Europe) Porteurs des espoirs de leurs familles, beaucoup de jeunes immigrés africains préfèrent taire les problèmes qu’ils affrontent en Europe. Un mensonge en entraînant un autre, ils ne parlent pas à leurs proches de leurs regrets d’être partis ni de l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Les rares qui osent dire la vérité sont soulagés.
Nostalgique, C. H. regarde défiler les photos de sa famille sur son ordinateur portable. Il sait bien que cela réveille en lui de mauvais souvenirs, mais il ne peut s’en empêcher. Il se rappelle sa dernière journée en RD Congo : il avait visité tous ses proches pour leur dire adieu. Tous étaient fiers de lui et pleins d’espoir, convaincus qu’il allait vivre dans un pays plus sûr, gagner beaucoup d’argent et aider la famille à sortir de la pauvreté.
En réalité, C. H. allait vers une vie d’isolement et d’incertitude, en France, loin des siens. « Depuis mon départ, il y a sept ans, je n’ai jamais été heureux. Je ne savais pas que je venais ici pour faire partie de ces sans-papiers dont en parlait souvent à la radio », confie ce jeune d’une trentaine d’années, visiblement triste. « Mes amis en Europe avaient promis de m’aider à étudier et à trouver un bon boulot. Mais, quand je suis arrivé, ils m’ont dit que je devais remettre mon passeport et demander l’asile si je voulais rester, car mon visa allait bientôt expirer. »
« Après, tu auras tout ce que tu désires et surtout de l’argent », me promettaient-ils encore. Un faux espoir de plus. Sa demande d’asile est rejetée et C. H. est devenu lui aussi un sans-papiers. Actuellement, il ne peut ni travailler, ni continuer ses études sur le sol français. Son rêve de devenir ingénieur s’est éteint. Il passe ses journées à ne rien faire, la peur au ventre. À tout moment il risque en effet d’être expulsé en RDCongo.
« Mentir à la famille ne profite jamais »
En France, en Hollande, en Belgique et en Angleterre, C. H. connaît des dizaines de clandestins. Comme bon nombre d’entre eux, il cache la vérité à sa famille. « Mon papa risque de se suicider s’il apprend que je vis de l’aide sociale. Lui-même est pauvre et donc incapable de m’assister financièrement. Pourquoi mes parents devraient-ils s’inquiéter pour moi ? Je préfère leur dire que j’étudie bien et que je cherche du travail. Je leur raconte que c’est difficile d’en trouver avec la crise économique, mais que j’espère pouvoir envoyer un peu d’euros dans les prochaines années », explique C. H., qui regrette amèrement d’avoir déjà perdu sept ans de sa vie en Europe.
Avec ses amis proches qui veulent venir à leur tour, il est un peu plus bavard : « Je ne peux pas leur dire toute la vérité, mais je leur conseille d’y penser à deux fois, car la vie ici n’est pas aussi bonne qu’on le croit quand on est en Afrique. »
Nombreux sont les jeunes migrants qui se retrouvent en quelque sorte prisonniers de leurs promesses et de leurs mensonges. A. M. est de ceux-là : « Cela fait trois ans que j’assure à ma copine qu’elle va me rejoindre… Mais, comment la faire venir ici, alors que je ne peux même pas lui envoyer quelques sous ? Je ne sais pas comment me tirer de cette situation. Certains préfèrent couper la communication, mais pour moi ce n’est pas la bonne solution. » En Belgique depuis trois ans, sans espoir de trouver ni boulot ni d’être intégré à l’université, ce jeune homme de 28 ans envisage de révéler la vérité à sa copine et de lui demander de l’aider à informer sa famille. Mais rien ne dit que cette dernière comprendra et compatira à ses malheurs…
« Chaque fois qu’on se téléphone, elle me demande comment vont les études. Je réponds que ça roule bien. Je lui ai tellement menti… Je lui ai même dit qu’elle devrait chercher un passeport dans les plus brefs délais, ce qu’elle a fait rapidement… J’ai peur qu’elle ne me pardonne pas. », confie-t-il.
Les immigrés d’Europe qui ont le courage de dire rapidement la vérité à leurs familles sont soulagés moralement et quelquefois même aussi financièrement. « Je savais dès le départ que mentir à la famille ne profite jamais. J’ai donc osé demander à mon frère de m’envoyer de l’argent. Autrement, je n’aurais pas pu m’en sortir. Cela m’a aidé jusqu’à ce que je trouve du travail », se félicite une Rwandaise, en Belgique depuis trois ans. Elle conclut, comme un conseil aux autres : « Il n’y a aucune raison de mentir à tes parents, à tes frères et sœurs. Si tu souffres, ils sont prêts à souffrir avec toi ! »
Jean Fichery Dukulizimana
Le dossier « Itinéraires de migrants » sur le site de Syfia info.
http://www.syfia.com/
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