Revue Moyen-Orient – Dossier Turquie

0
214

Couverture de Moyen-Orient (janv-fev-mars)

La Turquie… Evidemment, si les seules images que l’on peut avoir du pays se réduisent aux derviches tourneurs et au film Midnight Express, l’analyse politique du pays ne va pas aller bien loin ! Heureusement, c’est à cette nation que l’excellente revue Moyen-Orient a consacré un dossier, battant en brèche certaines idées reçues mais abordant aussi de façon assez approfondie certains sujets pour le moins « chauds » dans nombre de débats publics en ce qui concerne la région, comme la fameuse « question kurde », la laïcité, la démocratie ou encore le contentieux chypriote.

Souvent perçue comme une « porte d’entrée » entre le Moyen-Orient et l’Asie vers l’Europe (et vice-versa) et par conséquent un atout stratégique au vu de sa situation géopolitique, la Turquie suscite aussi beaucoup d’interrogations et même de suspicion, accentuées lors de son souhait d’adhérer à l’Union Européenne, en dépit d’efforts indéniables. Un malaise donc. On ne saurait répondre autrement à ces craintes qu’en conseillant vivement la lecture de ce dossier éclairant en de nombreux points, notamment en ce qui concerne l’aspect démocratique, Frank Tétart mettant ainsi en avant dans son éditorial une « société civile turque sortie de sa torpeur au profit du vent de démocratisation qui souffle dans le pays depuis une décennie ».

Sont ainsi abordés le rôle du gouvernement de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement, parti majoritaire au sein du gouvernement et dont est issu le premier ministre Recep Tayyip Erdogan) et ses préoccupations en ce qui concerne le domaine sécuritaire via notamment le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), une thématique qui « apparaît comme le principal axe de la politique extérieure de la Turquie depuis les années 90 », selon le chercheur Umit Yazmaci dans « La politique extérieure de l’AKP ».

Il revient également sur l’alliance avec le gouvernement étasunien et l’intervention militaire de ces derniers dans la région, faisant remarquer l’ambiguïté de la relation entre un gouvernement laïc qui fait son possible pour améliorer ses relations diplomatiques tout en étant tiraillé entre ses voisins, l’AKP et une puissance militaire non-musulmane sur le point d’occuper un territoire, en l’occurrence l’Irak : « Or l’AKP se trouve dans une position ambiguë, puisque sa participation à l’intervention militaire dite « préventive » des Etats-Unis dans un pays musulman est une décision impopulaire et risque d’aliéner son électorat « pieux ».

Du point de vue des Etats-Unis, la participation de la Turquie à la coalition internationale est vitale afin de pouvoir un deuxième front dans le nord de l’Irak (où vit une majorité de la population kurde du pays, ndlr) […]. » A lire également : « Pax Ottomana » et le très intéressant retour sur la crise de la « flotille de la liberté » Mavi Marmara et les conséquences diplomatiques de celle-ci entre la Turquie, Israël et la Syrie (et le rôle turc au regard du conflit israélo-palestinien), sans oublier ses relations avec l’Iran et la Russie notamment du point de vue énergétique, des relations de dépendance qui expliquent également la position turque à propos du nucléaire iranien : « Dans ce contexte la Turquie s’oppose à toute guerre et au renforcement des sanctions économiques internationales contre l’Iran, craignant que ces sanctions freinent son essor. »

Mais outre ces questions, celle de la société civile est bien présente comme en témoigne une formidable focale de Tigrane Yégavian qui évoque l’émergence d’associations il y a de cela quelques décennies et revient en parallèle sur le parcours (et la fin tragique) du journaliste Hrant Dink, dont on comprend comment l’événement a véritablement « ressoudé » la société civile dans le pays. Petite ombre au tableau toutefois dans ce dossier quand est évoquée la « question kurde » : même si la langue n’est plus interdite et que certaines chaînes de télévision émettent en langue kurde, la répression est toujours présente : « De nombreux acteurs, chanteurs, poètes, intellectuels ont été inquiétés, arrêtés, punis d’amendes parfois très lourdes, parfois très symboliques, pour une déclaration dans la presse, une chanson, une phrase, prononcée en kurde. » Un paradoxe, donc.

C’est en tout cas ce qu’on en retient, notamment lorsque Stéphane Tapia, auteur de l’article Les Kurdes n’existent pas, mais je les connais bien le résume par cette phrase qui donne à réfléchir : « Le Kurde n’existe pas, mais il est partout […] ». A lire pour creuser ces questions.

Jerôme Diaz

Jerôme Diaz

Jérôme Diaz est journaliste, chercheur-associé à Grotius.fr.

Jerôme Diaz

Derniers articles parJerôme Diaz (voir tous)