Elections législatives : une Jordanie sous haute tension

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On pourrait parler du calme avant la tempête. Ce qui va se passer à Amman dans les jours à venir sera déterminant pour l’avenir d’un des derniers pays « stables » de la région et « épargné » par la révolte violente. En effet, certains pays du Moyen-Orient ont une actualité relativement discrète au cœur du bouleversement géopolitique régional et pour l’opinion, ils semblent même épargnés par les « révoltes arabes ».

On a longtemps cru cela de la Jordanie comme du Maroc d’ailleurs. Or, il n’en est rien. A l’image du Roi du Maroc qui depuis deux ans a accéléré le processus démocratique et a modernisé constitution et code de la famille, le roi Abdallah de plus en plus critiqué, peine pourtant à satisfaire aux protestations de son peuple.

En réalité, la Jordanie dispose de peu de ressources et n’est pas un pays très riche ; de plus le déséquilibre politique, économique et social, lié à l’absorption massive de Palestiniens depuis 1948 et qui représentent la moitié de la population jordanienne, n’a jamais été rattrapé et il faut désormais  ajouter à cela l’afflux massif des réfugiés Syriens. Ils sont actuellement pas moins de 250 000 sur une population de 6 millions d’individus.

Les Palestiniens se sont toujours sentis discriminés et la situation des syriens dans l’urgence de la guerre n’est pas simple. Les conséquences de ces freins sévères au développement économique et sociales sont terribles : le taux de chômage avoisine les 30% de la population active. Quant à la  dette publique, elle a certes diminué  depuis des années, passant de 85% du PIB en 2004 à un peu moins de 60% en 2011. Malheureusement, elle reste très lourde (2 milliards d’euros) et a des conséquences directes sur la politique économique et sociale du pays.

Les manifestations qui ont suivi les évènements en Tunisie et en Libye ont pourtant bien démarré dès janvier 2011 et se sont égrenées régulièrement depuis. Le « mouvement des jeunes du 24 mars », proche des Frères musulmans, qui se créé deux mois plus tard fait pression dans la rue et demande davantage de réformes que ce que concède Abdallah 2 ; pour la première fois, les attaques ne se sont pas porté sur le gouvernement et sur le Roi, mais sur le train de vie de sa femme Rania qui fait scandale. Tout cela pendant que les Jordaniens protestent vigoureusement contre la hausse des denrées de première nécessité et de l’énergie. Un moyen détourné pour viser directement cette fois l’ensemble de l’exécutif et titiller le fonctionnement de la Monarchie.  Les 36 chefs des tribus bédouines, traditionnellement du côté du Roi,  lancèrent pour la première fois un appel au Palais en demandant au Roi de bien vouloir accélérer les réformes en matière économique et sociale.

En mars et avril 2011, les manifestations s’accélérèrent et les confrontations anti et pro-régime avec la police se multiplièrent. Après la répression de la grande manifestation du 25 mars 2011 à Amman, puis celle de Zarka au nord opposant des pro-régimes aux islamistes, le mouvement ne s’est pas affaibli pour autant et a eu par la suite raison de deux nouveaux premiers ministres. Depuis lors, les manifestations se sont calmé dans le pays jusqu’en avril 2012. C’est le moment où arrive FayezTarawneh, un nouveau premier ministre qui se penche alors sur une nouvelle loi électorale.

Finalement votée par le Parlement début juillet, la loi devrait desservir l’opposition lors de prochaines élections en rejetant la proportionnelle et le souhait de voir 50% des sièges réservés aux partis politiques.

Le maintien du vote tribal favorable au régime et au clientélisme tout comme le manque de soutien clair à la visibilité des partis politiques au sein du Parlement a provoqué l’ire des opposants à commencer par les Frères musulmans. 1500 protestataires dont de nombreux membres du Front Islamique d’Action, premier parti du pays et aile politique des Frères et qui sait d’emblée qu’il ne pourra obtenir la majorité des sièges, défilèrent le 13 juillet dernier dans les rues d’Amman pour appeler au boycott des prochaines élections législative dont on sait maintenant qu’elles se tiendront le 23 janvier prochain.

Crise économique, crise de la dette, révolte sociale, et impossibilité pour l’opposition d’accéder au pouvoir risquent fort de voir un printemps enfin véritablement survenir début 2013 en Jordanie.

Pourtant la réforme de la constitution engagée en avril 2011 a fait de nombreuses avancées : abaissement de l’âge légal pour être candidat, création d’une haute cour constitutionnelle, création d’une commission de supervision du bon fonctionnement des élections. Et ce n’est pas non plus la création d’un Comité National pour le Dialogue qui suffira à apaiser la colère de l’opposition et des Frères musulmans qui n’ont qu’un  objectif : accéder au pouvoir par les urnes si le peuple lui donne raison pourvu que le système électoral le lui permette enfin.

Pour l’instant le Roi n’a pas encore perdu la tête, il la garde bien et fait traîner tant que personne n’a encore ouvertement et violemment condamné la monarchie. Mais pour combien de temps encore ?

Il semble bien long et semé d’embûches en Jordanie le chemin pour accéder à une solution du moindre mal pour Abdallah : celle de la monarchie parlementaire. En attendant, il tente de se maintenir à l’international et se ménager une place de médiateur régional de par ses relations avec Israël et les pays arabes. Tout cela avec le soutien des Européens et des Américains. Et cela commence stratégiquement par un soutien aux Palestiniens, que ceux de l’intérieur apprécieront : visite à Ramallah et rencontre avec Mahmoud Abbas le 6 décembre dernier et engagement pour accueillir de nouvelles relances des négociations entre les deux protagonistes en Jordanie en février prochain.

Ce n’était que la troisième visite en Cisjordanie d’un roi depuis 1967 et la perte de ce territoire par Amman. Cela pourrait-il le réconcilier avec au moins la moitié de son peuple ? Tous se souviennent de « septembre noir » en 1970.

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien BOUSSOIS est docteur en sciences politiques, spécialiste de la question israélo-palestinienne et enseignant en relations internationales. Collaborateur scientifique du REPI (Université Libre de Bruxelles) et du Centre Jacques Berque (Rabat), il est par ailleurs fondateur et président du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) et senior advisor à l’Institut Medea (Bruxelles).