Mexique : à Tlahuitoltepec, « la parole fleurie » contre l’abandon

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Odilon Vargas
Odilon Vargas

« Depuis son entrée en fonction en décembre 2010, Gabino Cué Monteagudo, le nouveau gouverneur de l’Etat de Oaxaca (Mexique), ne cesse de donner des gages aux communautés indigènes, qui ont largement contribué à son élection. Sa femme, Mané Sánchez Cámara, a entrepris une importante tournée auprès des communautés indigènes de l’Etat…

Le 16 janvier, l’épouse du gouverneur était ainsi à Tlahuitoltépec, un gros bourg peuplé de Mixés, encore meurtris par les conséquences des pluies diluviennes de fin septembre 2010… Il faudra cependant beaucoup plus que la visite de la première dame pour restaurer une confiance largement entamée par le sentiment d’indifférence et d’abandon, ressenti par la population depuis la catastrophe.

«Jënpoj»

«Le 28, la pluie a commencé à tomber, et ne s’est pas arrêtée pendant quatre jours et quatre nuits». Dans son petit studio – provisoire -, Odilon Vargas Pérez règne en maître sur les programmes de la petite radio communautaire «Jënpoj». Habituellement, cette station diffuse des programmes principalement en langue Ayuujk («les gens de la parole fleurie»), parlée dans toute la population Mixée (105000 personnes dans l’Etat de Oaxaca).

Matchs sportifs, concerts, événements politiques : elle couvre tous les événements qui touchent de près ou de loin  la vie de la communauté. Mais cette nuit du 28 septembre a tout changé pour Odilon Vargas Pérez. «Dès 2 heures du matin, nous avons commencé à alerter les populations, et à leur donner des conseils pour calfeutrer au mieux les habitations», raconte le coordinateur de l’antenne. «Et alors que le village était privé de liaison téléphonique, nous sommes devenus le seul recours pour alerter et aiguiller les secours». Déjà difficile d’accès par temps sec, Tlahuitoltepec est resté ainsi isolé un bon moment avant que ces derniers n’arrivent. En attendant, la situation n’a fait qu’empirer, et deux coulées de boues ont emporté des dizaines d’habitations dans la ville. «Au total, décompte Odilon Vargas, ce sont près de 1500 familles – dans la ville, mais aussi dans les montagnes alentours – qui ont été touchées par les glissements de terrains ou les inondations.»

Les pompiers, la protection civile, mais aussi la Croix-rouge, sont finalement arrivés. «Nous avons été les premiers à arriver sur place», confirme Aura Guadalupe Borges Yazegey, déléguée pour l’Etat de Oaxaca de la Croix Rouge mexicaine. L’organisation fête cette année son centenaire, et reste fidèle à son principe initial, résumé par Mme Borges Yazegey : «Il nous était difficile de faire plus, notre mandat, c’est l’urgence. Nous pouvons rester quelques jours après les événements et apporter une aide de première urgence pour les habitants en détresse. Mais nous n’avons ni les moyens, ni les programmes pour gérer la reconstruction».

Après l’urgence ?

On ne saurait en tenir rigueur à  la vieille dame humanitaire. Quatorze convois se sont en effet succédés pour aider les habitants de Tlahuitotepelc,  mais l’aide de première nécessité a également concerné toute la région,

Panneau danger improvisé
Panneau danger improvisé

bénéficiant à plusieurs centaines de villages également plongés dans l’isolement pendant plusieurs jours, et elle ne pouvait logiquement pas se poursuivre éternellement.

Vivres, médicaments, couvertures donc … et puis plus rien. Les convois se sont arrêtés,  la protection civile et les ONG sont reparties, laissant les habitants Tlahuitoltepec sans ressources devant les travaux à entreprendre.  Une école, notamment, a été totalement dévastée, et n’a pour le moment pas été reconstruite. «Nous avons besoin de plus de moyens pour faire des murs de soutènement, consolider les routes existantes, et reconstruire les infrastructures détruites, rappelle Odilon Vargas, et ceci dépend des pouvoirs publics.»  De radio d’urgence, «Jënpoj» est donc passée dans le camp de la revendication. En coordination étroite avec la municipalité et les institutions communautaires, la radio a interpellé les autorités, sollicité les médias, organisé des concerts de soutien jusque dans la ville de Mexico. La petite radio Mixée a fait jouer toute la puissance de ses petites ondes, avec un résultat mitigé. «Les associations de la société civile nous ont suivi, poursuit Odilon Vargas, et nous ont apporté des bâches, du matériel (…) Mais au jour d’aujourd’hui, nous n’avons pas reçu un centavo de la part des pouvoirs publics

Quelques clous, des planches, un peu de peinture…

Alors … alors rien. A la peinture rouge, on a écrit des avertissements sur les ponts instables de la ville (voir photographie). Dans les rues du village, des hommes s’affairent pour consolider avec des moyens de fortune l’entrée d’un chemin. Quelques clous, des planches, un peu de peinture : les moyens sont certes ingénieux mais bien dérisoires au final.

Faut-il s’en étonner ? Au moment des événements, le gouverneur de l’Etat en poste, Ulises Ruiz, était peu connu pour son soutien immodéré aux communautés indigènes, pour faire dans l’euphémisme (lire ou relire «La petite vendeuse du Zocalo»). En outre, battu lors des élections de juillet 2010, mais encore en fonction jusqu’en décembre, que lui importait de s’occuper d’une communauté qui avait visiblement contribué à sa défaite. Quand à son successeur, qui s’est au contraire attiré bon nombre de sympathies dans cette population grâce à ses promesses électorales répétées, rien ne permet d’affirmer pour le moment qu’il les mettra à exécution dans un proche avenir.

Si l’on en croit Odilon Vargas, beaucoup d’espoirs se tournent pourtant aujourd’hui vers le nouveau gouverneur, mais il faudra certainement encore beaucoup de messages radiophoniques de radio «Jënpoj», pour lui rappeler ses engagements. Beaucoup de coups de gueule «fleuris» à l’antenne,  pour que la petite station Mixée puisse enfin réussir à refermer les cicatrices de Tlahuitoltepec.

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot est journaliste indépendant.

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