A Butembo… Une rencontre furtive mais qui me hante encore

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Il y a un mois à Butembo en RDC, je fumais une cigarette dans la rue devant un centre de soin géré par une association de femmes attendant mes compagnons de voyage qui visitaient le centre.

Une enfant quitte les lieux accompagnée d’une jeune femme à peine plus âgée. Elle venait d’accoucher et repartait. A peine pubère, elle portait un bébé assez maladroitement et la jeune femme qui l’accompagnait lui expliquait comment elle devait faire pour bien tenir le bébé et adosser sa tête contre son épaule.

La gamine semblait ailleurs, elle souriait aux enfants devant elle, elle sautillait dans la rue comme ivre d’espace. Elle m’a fait penser aux millions d’enfants dans le monde qui jouent à la marelle ou des jeux semblables sur les trottoirs et les places publiques. Elle esquivait ces mêmes pas et semblait plonger dans son univers. Elle s’est s’arretée à ma hauteur et m’a dit bonjour, visiblement le seul mot en français qu’elle connaissait. Je lui souris et souris au bébé et lui demande son âge. Elle appelle un jeune homme pour traduire et me répond 15 ans d’un ton espiègle. J’avais du mal à le croire. Son corps sortait à peine de l’enfance, avec ces coudes saillants et pointus. Son sourire furtif disait autre chose. Je m’exclame et lui demande le prénom du bébé «Chantal» me répondit-elle, c’est ma fille et elle, c’est ma mère en parlant de la jeune femme qui l’accompagnait. Là-dessus, elle s’en va. Je l’entends chantonner à l’enfant qui venait de se réveiller et je la regarde continuer son chemin pendant que le jeune homme continuait à me parler.

Au départ, j’ai cru avoir mal compris, alors que ce qu’il me disait n’arrivait tout simplement pas à franchir ma compréhension. Mon cerveau le refusait et le rejetait comme impensable. La gamine que je venais de croiser a été violée et le bébé qu’elle portait dans ses bras est le fruit de ce viol et ; elle même est le fruit d’un viol que sa mère avait subi quelques années plus tôt.

Me sont alors revenues à l’esprit les centaines d’histoires entendues depuis plusieurs années.  Des centaines de milliers de femmes ont été violées, «victimes collatérales» de la guerre civile qui a débuté en 1994. Victimes de la barbarie des hommes et de leurs luttes pour le pouvoir. Victimes des multinationales qui alimentent et maintiennent cette région en tension pour encore plus exploiter ces sous sol.

Seize ans plus tard, on parle, encore, de la fin de la guerre et de stabilisation du pays, la MONUC est devenue MONUSCO, les ONG prolifèrent et, certaines villes sont devenues de véritables bastions de défenseurs des droits humains et pourtant, les femmes attendent toujours.

Les ONG financent à tour de bras des panneaux dénonçant les viols qu’on croise sur toutes les routes destinés à l’éducation des hommes disent-elles dans un pays où le nombre d’analphabètes s’élève à 18 millions. Le nombre de viol n’a pas baissé et les femmes continuent à subir les pires horreurs dans le Kivu, le Katanga et l’Ituri et les auteurs de viols à se balader dehors en toute impunité. Des soldats, des rebelles, des civils déguisés… Tout le monde s’y met. Violer une femme est devenu d’un banal, un quasi sport national. D’ailleurs les congolais ont trouvé un terme pour ne plus prononcer le terme de viol, ils parlent de femmes «vulnérables» terme tout droit sorti de ces églises, de toutes sortes, qui pullulent sur tout le territoire et qui semblent plus se soucier de combattre le préservatif et la pilule du lendemain que de dénoncer les viols.

Les ONG et les Agences des nations Unis parlent elles, de violences sexuelles. La petite fille que j’ai croisée apparaitra dans les statistiques comme victime de violences alors qu’elle est victime de viol. Elles sont en moyenne 14 victimes par jour à vivre ce cauchemar. Pour les trois premiers mois de l’année 2010, le HCR parle de 1?244 femmes violées, soit à peu près autant qu’en 2009. MSF parle de 9000 femmes violées rien que pour l’année 2009 ; un nombre sans doute inférieur à la réalité, car la peur d’être rejetées par leur communauté pousse beaucoup de femmes à se taire.

Que faut-il faire pour qu’un jour je ne croise pas Chantal sortant de ce même centre de soin portant l’enfant d’un viol ?

Nadia Chaabane

Nadia Chaabane

Nadia Chaabane est linguiste et militante féministe franco-tunisienne.

Nadia Chaabane

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