Calculs et manigances contre le système interaméricain des droits de l’homme

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La controverse enfle dans les rangs de l’Organisation des États américains (OEA) autour du fonctionnement de ses institutions en charge de la protection des droits de l’homme et des libertés publiques. Au cœur du débat : l’avenir du rapporteur spécial pour la liberté d’expression, un gêneur pour les États, un allié pour les sociétés civiles.

Ce 25 janvier 2012, la réunion du Conseil permanent des ambassadeurs de l’OEA nourrit comme rarement l’inquiétude quant à la survie du système interaméricain des droits de l’homme. A l’appui d’une jurisprudence ratifiée par l’ensemble des États du continent1, ce mécanisme de protection des libertés fondamentales se laisse comparer à celui qui régit l’Union des 27 à travers la Cour européenne des droits de l’homme. Outre-Atlantique, deux juridictions supranationales veillent à son application : la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), sise à Washington, et la Cour du même nom, instance suprême, siégeant à San José du Costa Rica. De la CIDH, à laquelle échoient les premières saisines, dépendent sept rapporteurs spéciaux, à l’image de leurs homologues de l’ONU. Dernier né de ces vigies du contentieux, le rapporteur spécial pour la liberté d’expression se sait depuis ce 25 janvier en sursis.

Dans ce train de réformes alors approuvées par le Conseil permanent, trois menacent directement l’avenir d’un rapporteur réputé à la fois pour son indépendance, son autonomie financière (il n’est pas rétribué directement sur le budget de l’OEA et dispose d’une capacité de fonds propres) et sa compétence d’information. Trois atouts que brise ladite réforme, à mettre au compte de susceptibilités gouvernementales. Ressources autonomes réduites voire taries et subordination financière conditionnée des États. C’en est fait du nerf de la guerre. Mais affamer le rapporteur ne suffit pas. Il faut le museler. Le priver de ce rapport annuel qu’il est seul à publier en son nom. Enfin, limiter ses prises de position sur des affaires en cours confrontant des États à leurs propres citoyens. S’agit-il vraiment de “fortifier” le système interaméricain des droits de l’homme, selon la formule abusivement diplomatique du secrétaire général de l’OEA José Miguel Insulza?

“Nous avons besoin d’un nouveau système interaméricain, car l’OEA a été captée par une vision nord-américaine qui la rend inefficace et indigne de confiance”, a déclaré le président équatorien Rafael Correa le 2 décembre 2011 à Caracas, au sommet inaugural de la nouvelle Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC), dont la vocation serait de s’ériger à terme en nouvelle OEA affranchie des Etats-Unis et du Canada. Or, le président équatorien qui plaide pour un “contre-système” est le même à avoir sollicité le premier la réforme du système existant ! Et à avoir commencé à obtenir gain de cause, le 25 janvier.

En délicatesse avec une partie de la presse de son pays, contestée par une frange de sa base électorale, notamment indigène, peu regardant sur les avis divergents de sa propre majorité parlementaire, le locataire du palais de Carondelet à Quito digère mal les entraves à sa “révolution citoyenne”. Sa popularité reste haute mais son image internationale se ternit lorsqu’un (très) violent éditorial du quotidien El Universo provoque le lèse-majesté. Trois ans de prison pour les trois directeurs de la rédaction et l’auteur du brûlot ; 40 millions de dollars de dédommagements.

Une véritable prime à l’autocensure que le rapporteur spécial de l’OEA ne manque pas d’épingler. La confrontation générale a lieu sous les auspices de ce dernier en octobre 2011. Or, depuis le mois de juillet précédent, le groupe de travail sur la réforme de l’OEA, réclamé par l’Équateur et d’autres États, s’est mise au travail. Les consciences s’alarment. Parmi les organisations de journalistes colombiens, souvent bénéficiaires de mesures de protection ordonnées par la CIDH sur demande du rapporteur. Parmi les collectifs indigènes et paysans brésiliens que le rapporteur a dû défendre face aux excès industriels. Parmi les défenseurs de prisonniers vénézuéliens, victimes d’une dangereuse surpopulation carcérale. Parmi les opposants au coup d’État hondurien de 2009, qui n’attendent logiquement plus grand chose de la justice de leur pays. Les consciences ont parlé, mais la realpolitik aussi. José Miguel Insulza a beau tempérer que la décision reviendra à l’Assemblée générale de l’OEA, la question n’en est que maintenue : le rapporteur spécial pour la liberté d’expression va-t-il devenir une coquille vide ? Ou disparaître ?

(1) Officiellement réintégré à l’OEA en 2009 après en avoir été exclu en 1962, Cuba a choisi de rester à l’écart de l’instance. 

 

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu est Directeur du Bureau Amériques – RSF…………………………………………………………………………….
Benoît Hervieu, Reporteros sin Fronteras, Despacho Américas .