Les intellectuels syriens face à la révolution

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La conférence organisée à l’Ecole Normale Supérieure (ENS Paris) intitulée «Les intellectuels syriens face à la révolution » (22 février 2012) est un préambule à la «Semaine Arabe» consacrée par l’institution aux mouvements de contestation dans le monde arabe. Un évènement programmé en avril. Grotius International a suivi cette première conférence…

Les 2 intervenants invités sont Hassan Abbas[1] -professeur d’arabe et chercheur en sciences humaines à l’Institut français du Proche-Orient, co-fondateur et membre de direction de «l’Association des droits de l’homme en Syrie » qui vit à Damas et Mohammed Ali al-Atassi[2] -journaliste et réalisateur syrien, activiste des droits de l’homme et signataire de la pétition des 99 en 2000 contre le régime de Bachar el Assad qui vit à Beyrouth.

Paradoxalement, les deux intellectuels tout en rassurant sur l’éventualité du risque de guerre civile sur fond de confessionnalisme ont reconnu l’inévitable militarisation des activistes opposés au  pouvoir en place.

Hassan Abbas est revenu sur les premiers slogans des opposants pour en faire un bilan tandis que Mohammed Ali al-Atassi a replacé la révolution syrienne dans le mouvement du printemps arabe tout en soulignant sa spécificité et son pacifisme. Enfin, les deux intellectuels ont profité de la conférence pour délivrer un message d’appel à la solidarité avec le peuple syrien destiné à la société civile européenne et aux Européens. Ils ont insisté sur la longévité exceptionnelle de la révolution alors que la répression s’accentue et de la nécessité du soutien de la communauté internationale et des citoyens au soulèvement.

Hassan Abbas a ouvert la conférence décrivant les processus et les dynamiques de la révolution syrienne et analysant les premiers slogans de la révolution.

Il a procédé à l’analyse de l’évolution des trois slogans principaux de la révolution syrienne des premiers jours du soulèvement qu’il date de début mars 2011 et non du 15 mars, date retenue par les médias.

1)  Non au Confessionnalisme

2)  Non à la militarisation

3)  Non à l’intervention internationale

Hassan Abbas constate qu’un an après le début du soulèvement, les opposants n’ont pas réussi à respecter les devises décrétées au début de la révolte du fait de la répression violente et des agitations fomentées par le pouvoir pour déstabiliser le soulèvement et le décrédibiliser en attisant les divisions confessionnelles.

Si on analyse le premier slogan «Non au confessionnalisme», selon Hassan Abbas, le confessionnalisme reste minoritaire dans le soulèvement et peu généralisé. Il est peu probable que le pays connaisse des conflits liés au confessionnalisme. Et ce malgré la stratégie du gouvernement en place à savoir diviser la société syrienne pour continuer à régner et l’agitation au niveau international par le régime de l’épouvantail «la menace d’une guerre confessionnelle» qu’il contribue pourtant à fomenter activement  sur le terrain.

Quant au deuxième slogan «Non à la militarisation», la situation de violence extrême a amené les Syriens à porter des armes pour se défendre ce qui entraîne une militarisation de l’armée de libération de la Syrie -certes sans commune mesure avec l’arsenal de l’armée officielle mais il s’agit d’une militarisation certaine- pour protéger les populations civiles qui sont les cibles d’attaques aveugles et violentes de la part de l’armée et du pouvoir en place. A cette auto-défense des activistes, il faut rajouter le fait que les déserteurs de l’armée réussissent parfois à quitter l’armée avec leurs armes. Ces défections armées contribuent également à la militarisation du pays. Pour M. Abbas, il ne s’agit pas encore de «guérillas» mais on n’en est pas loin et la militarisation de la société risque de s’aggraver.

Enfin, en ce qui concerne la troisième devise «Non à l’intervention internationale», c’est la seule qui reste d’actualité car peu de Syriens sont prêts à une intervention internationale même si certains la demandent lassés de l’escalade de la violence de l’armée qui tire sur les foules.

A la fin de la conférence, Hassan Abbas mentionne l’existence de groupes de réflexion à Damas qui préparent l’après-révolution et notamment la question de la justice transitionnelle[3] (comme cela a été fait au Rwanda, au Maroc et en Afrique du Sud). Ces groupes de réflexion étudient la mise en place d’un système qui serait adéquat au contexte syrien et recherchent des experts et des formateurs prêts à former des Syriens à cette question.

 ***

Le deuxième intervenant Mohammed Ali al-Atassi a retracé les origines de l’insurrection syrienne et replace cette révolution dans le printemps arabe tout en décrivant ses spécificités.

Il estime que cette dynamique insurrectionnelle a traversé tous les pays arabes jusqu’à la Syrie. Les succès de l’Egypte, de la Tunisie, du Yémen et de la Lybie ont redonné confiance aux Syriens. Selon le journaliste, une troisième voie est devenue possible : les pays arabes n’étaient plus condamnés à choisir entre le chaos/l’islamisme et la stabilité/le despotisme. Il rappelle que plusieurs tentatives de rébellions ont émaillé le pays pendant le  printemps arabe et qu’elles avaient échoué jusqu’au mois de mars 2011. Pour le journaliste, la révolution syrienne est une révolution complète de par son étendue, sa longévité, sa créativité artistique et politique qui traverse tout le pays. Pour le journaliste, c’est une erreur de comparer la révolution syrienne aux autres soulèvements, qui selon ce dernier tout en faisant partie de cette dynamique du  arabe, la révolution syrienne constitue un cas à part.

La spécificité de la révolution syrienne réside dans sa lutte quotidienne pour l’accès à l’Agora, à l’espace public. Et le rapport de force qui a lieu entre l’armée et les activistes révolutionnaires c’est bien l’accès à cet espace qui est l’objet de lutte. La répression a été extrêmement violente dès les premiers jours à Damas pour contrer cette volonté populaire d’accéder et d’occuper l’espace public devenu l’enjeu majeur et symbolique de la bataille. La seule fois que l’occupation de cet espace a réussi et ce pendant un court moment, cela s’est soldée par un massacre perpétré contre la foule.

Les tentatives de constitution de mini-agoras dans les quartiers, les rues et les manifestations quotidiennes sont protégées par les activistes afin d’empêcher l’armée de tirer. Tout en étant d’accord avec Hassan Abbas sur la nécessité contingente de la militarisation des activistes pour se protéger et protéger les civils qui manifestent,  Mohammed Ali al-Atassi insiste sur l’incroyable créativité des actes civiques de résistance mêlant art et politique et le pacifisme de ces actions de soulèvement.

Quant à la question du confessionnalisme, le journaliste rappelle que le pouvoir en place (tout comme la colonisation française l’avait fait) a géré le peuple syrien en communautés et non pas en citoyens. C’est l’héritage de cette gestion communautaire qui perdure aujourd’hui. Pour lui,  le pays ne basculera pas dans la guerre civile même si le régime en place y travaille. Selon ce dernier, on assiste à un processus de renaissance du concept de nation et de l’identité syrienne en train de se créer. Il s’agit d’une véritable réappropriation identitaire de la société syrienne qui est en cours.

Enfin, selon Mohammed Ali al-Atassi, l’intervention internationale en Syrie n’est pas souhaitée par les Syriens car ces derniers craignent de terminer comme l’Irak ou la Libye dont les grands perdants sont les peuples. Cependant, devant les crimes perpétués par le régime, le journaliste estime qu’il ne faut pas éliminer la carte diplomatique du « corridor humanitaire », ou de l’aide humanitaire. Le fait d’écarter d’emblée cette possibilité a l’effet paradoxal de donner le feu vert au régime syrien.

Mohammed Ali al-Atassi a terminé sa présentation par un appel à la solidarité avec le peuple syrien destiné à la société civile européenne et notamment française et aux citoyens européens. Il s’étonne qu’aucun parti politique, syndicat ou association n’ait publiquement soutenu la révolution syrienne alors que cela a été fait pour d’autres causes. Il regrette également que les citoyens ne soient pas plus nombreux à manifester leur solidarité au peuple syrien (par exemple ce rassemblement de 500 personnes Place du Châtelet à Paris). Ce silence donne l’impression que le peuple syrien est abandonné à l’oppression du régime à la fois par la société civile internationale et les grandes puissances.

Comme en écho à une impuissance soulignée de la communauté internationale…

[1] http://www.ifporient.org/hassan-abbas
[2] http://www.esprit.presse.fr/news/frontpage/news.php?code=185
[3] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux/aide-au-developpement-et/gouvernance-democratique/etats-fragiles-prevention-et/article/soutenir-les-processus-de-justice

 

Chadia Boudarssa

Chadia Boudarssa

Chadia Boudarssa, Sociologue de l’humanitaire et ancienne humanitaire.